- PEAU D'ÂNE
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Il était une fois un roi si grand, si aimé de ses peuples, si respecté de tous ses voisins et de ses alliés, vivait très heureux avec sa femme et sa fille unique dans un somptueux palais.
Il était d’autant plus riche qu’il possédait un âne. Les vertus de ce rare animal méritaient cette distinction, puisque la nature l’avait formé si extraordinaire que sa litière, au lieu d’être malpropre, était couverte, tous les matins, avec profusion, de beaux écus au soleil et de louis d’or de toute espèce, qu’on allait recueillir à son réveil.
Malheureusement sa femme mourut et avant que de mourir elle fit faire le serment à son mari qu’il ne se remarierait que s’il trouvait une femme plus belle et plus sage qu’elle.
Il allégua le serment qu’il avait fait à la reine, défiant tous ses conseillers de pouvoir trouver une princesse plus belle et mieux faite que feu sa femme, pensant que cela était impossible.
Effectivement, il chercha, parmi les princesses à marier, qui serait celle qui pourrait lui convenir. Chaque jour on lui apportait des portraits charmants, mais aucun n’avait les grâces de la feue reine.
il ne se trouva que sa fille qui surpassât sa mère.
La jeune princesse, outrée d’une vive douleur, n’imagina rien autre chose que d’aller trouver la fée des lilas, sa marraine qui lui conseille d’émettre des souhaits que son père serait incapable de satisfaire. Mais c’est sans compter sur sa ténacité et sur la crainte qu’il inspire, aussi la robe « couleur du temps », celle "couleur de lune" ou encore celle "couleur de soleil", furent offertes à la princesse. A bout d’argument, la fée l’invite à demander la peau de l’âne merveilleux.
Le pauvre âne fut sacrifié et la peau galamment apportée à l’infante, qui, ne voyant plus aucun moyen d’éluder son malheur, s’allait désespérer lorsque sa marraine accourut.
Enveloppez-vous de cette peau, sortez de ce palais, et allez tant que la terre pourra vous porter.
L’infante embrassa mille fois sa marraine, la pria de ne pas l’abandonner, s’affubla de cette vilaine peau, après s’être barbouillée de suie de cheminée, et sortit de ce riche palais sans être reconnue de personne.
Pendant ce temps, l’infante cheminait. Elle alla bien loin, bien loin, encore plus loin, et cherchait partout une place jusqu’à ce qu’elle soit acceptée dans la métairie d’un roi qui cherchait un souillon pour laver les torchons, nettoyer les dindons et l’auge des cochons. Peau d’Âne devient le souffre-douleur de toute la ferme, et elle supporte toutes les humiliations.
Puis un jour, elle eut le loisir de tirer sa cassette, d’arranger sa toilette, de poudrer ses beaux cheveux et de mettre sa belle robe couleur du temps.
La belle princesse se mira et s’admira elle-même avec raison, si bien qu’elle résolut, pour se désennuyer, de mettre tour à tour ses belles robes, les fêtes et les dimanches.
Un jour de fête, le fils du roi, à qui cette ferme appartenait, vint y descendre pour se reposer, en revenant de la chasse.
Il se mit à parcourir les basses-cours et tous les recoins. En courant ainsi de lieu en lieu, il entra dans une sombre allée au bout de laquelle il vit une porte fermée. La curiosité lui fit mettre l’oeil à la serrure, mais que devint-il en apercevant la princesse si belle et si richement vêtue qu’à son air noble et modeste il la prit pour une divinité.
Le jeune prince est sous le charme. Il ne pense plus qu’à elle, il demande même qu’elle lui fasse un gâteau. Une bague qu’elle avait au doigt tomba dans la pâte, s’y mêla, et dès que le gâteau fut cuit, s’affublant de son horrible peau, elle donna le gâteau à l’officier. Cet homme courut chez le prince lui apporter ce gâteau.
Le prince mangea le gateau avec une telle vivacité et pensa s’étrangler par la bague qu’il trouva dans un des morceaux du gâteau, mais il la tira adroitement de sa bouche, et son ardeur à dévorer ce gâteau se ralentit, en examinant cette fine émeraude, montée sur un jonc d’or, dont le cercle était si étroit, qu’il jugea ne pouvoir servir qu’au plus joli doigt du monde.
Le roi et la reine prirent la bague, l’examinèrent curieusement, et jugèrent, ainsi que le prince, que cette bague ne pouvait aller qu’à quelque fille de bonne maison. Alors, le roi, ayant embrassé son fils en le conjurant de guérir, sortit, fit donner les tambours, les fifres et les trompettes par toute la ville, et crier par ses hérauts que l’on n’avait qu’à venir au palais essayer une bague et que celle à qui elle irait juste épouserait l’héritier du trône.
Les princesses d’abord arrivèrent, puis les duchesses, les marquises et les baronnes, mais elles eurent beau toutes s’amenuiser les doigts, aucune ne put mettre la bague. Il en fallut venir aux grisettes, qui toutes jolies qu’elles étaient, avaient toutes les doigts trop gros. Le prince, qui se portait mieux, faisait lui-même l’essai. Enfin, on en vint aux filles de chambre; elles ne réussirent pas mieux. Il n’y avait plus personne qui n’eût essayé cette bague sans succès, lorsque le prince demanda les cuisinières, les marmitonnes, les gardeuses de moutons : on amena tout cela; mais leurs gros doigts rouges et courts ne purent seulement aller par-delà l’ongle.
Il ne reste plus qu’à l’essayer à Peau d’Âne dit le prince.
Depuis qu’elle avait su qu’on cherchait un doigt propre à mettre sa bague, je ne sais quel espoir l’avait portée à se coiffer plus soigneusement, et à mettre son beau corps d’argent, avec le jupon plein de falbalas de dentelle d’argent, semés d’émeraudes. Sitôt qu’elle entendit qu’on heurtait à la porte et qu’on l’appelait pour aller chez le prince, elle remit promptement sa peau d’âne, ouvrit sa porte puis partit chez le prince.
Dame ! qui fut bien surpris ? Ce furent le roi et la reine, ainsi que tous les chambellans et les grands de la cour, lorsque de dessous cette peau noire et crasseuse sortit une petite main délicate, blanche et couleur de rose où la bague s’ajusta sans peine au plus joli petit doigt du monde.
Par ce petit mouvement, la peau tomba et Peau d'âne apparut d’une beauté si ravissante, que le prince, tout faible qu’il était, se mit à ses genoux. Le roi et la reine vinrent l’embrasser de toute leur force, et lui demander si elle voulait bien épouser leur fils.
Peau d'âne déclara qu’elle ne pouvait épouser le prince sans le consentement du roi son père : aussi fut-il le premier auquel on envoya une invitation. Il vint des rois de tous les pays, les uns en chaise à porteurs, d’autres en cabriolet; les plus éloignés montés sur des éléphants, sur des tigres, sur des aigles mais le plus magnifique et le plus puissant fut le père de peau d'âne, qui heureusement avait oublié son amour déréglé et avait épousé une reine veuve, fort belle, dont il n’avait point eu d’enfant.
Le roi et la reine lui présentèrent leur fils, qu’il combla d’amitié. Les noces se firent avec toute la pompe imaginable. Les jeunes époux, peu sensibles à ces magnificences, ne virent et ne regardèrent qu’eux.
Le roi, père du prince, fit couronner son fils ce même jour, et, lui baisant la main, le plaça sur son trône. Les fêtes de cet illustre mariage durèrent près de trois mois; mais l’amour des deux époux durerait encore, tant ils s’aimaient, s’ils n’étaient pas morts cent ans après.
- - Charles Perrault (1628-1703) -
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